Le dernier volet de notre série nous amène sur le canal déclassé du Rhône au Rhin, une ancienne voie navigable réinvestie par la nature.
Au départ, le canal déclassé du Rhône au Rhin est un lieu assez improbable. Déjà, le nom : on a envie de lui mettre des guillemets ! Parce que, quand vous vous appelez « déclassé », hein… Ensuite, ces 36 kilomètres d’ancienne voie navigable, entre l’Ile-Napoléon et Kunheim, asséchés puis remis en eau, sont l’objet d’une attention forcément plus relâchée qu’un lac, un étang ou le Vater Rhein, sur lesquels veillent des intérêts, soit très proches, soit tellement généraux qu’ils vous élèvent au rang d’affaire d’État.
Quand en plus, Jean-Louis Ringenbach, le président du groupement de réciprocité des AAPPMA du Haut-Rhin, qui intervient ici pour le compte de la fédération, regrette d’emblée que « la fréquentation [n’y soit] pas à la hauteur des efforts », on se dit que, bon, il n’y a plus qu’à plier les gaules…
Eh bien, on aurait tort ! Rien qu’à parcourir le chemin de halage, entre Baldersheim et Munchhouse, on découvre un environnement idyllique, pour qui aime la paix, la tranquillité. On y imagine aisément des face-à-face épiques et sans témoin avec ce brochet, dont, souligne Jean-Louis Ringenbach, « le canal a toujours été un lieu de reproduction exceptionnel ».
Rien à voir avec les rives domestiquées du Rhône au Rhin navigable, en amont de Mulhouse, où croisent les péniches de touristes et où déboulent, à tout instant, joggeurs et vététistes. D’ailleurs, nous sommes sur l’un des deux parcours que la fédération a élus « sensation », pour la traque des carnassiers.
Au fur et à mesure qu’on avance sous les ramures des saules, chênes, hêtres et autres acacias, les écluses désaffectées offrent le spectacle de leurs sas béants. Ces chutes successives, que seuls des saumons sauraient remonter et que, sauf accident, aucun poisson ne dévale, continuent, malgré la disparition de leurs portes, de caractériser des biefs « étanches », rendant possibles des gestions piscicoles spécifiques.
Bien sûr, on ne va pas installer de postes de pêche à ces endroits-là, car les poissons ne s’en approchent pas, à l’instar de cet « attroupement de carpes » que le garde-pêche Roland Frey, qui nous accompagne, a repéré près de la n° 44. À moins que ce ne soit la 45 ? Dans la mémoire des anciens, les numéros des écluses s’estompent. Plus facilement que le souvenir « deschevaux, qui tiraient les péniches, le long du chemin de halage ».
Tout en testant ses leurres artificiels, dont une n° 3, « passe-partout », qu’il affectionne tout particulièrement, Jean-Louis Ringenbach continue de se perdre en conjectures… Du coup, il râle un peu après « le Département, qui est responsable de l’entretien ». Eux, les pêcheurs, estime-il, ont fait ce qu’il fallait en termes de repeuplement : des centaines de kilos depuis trois ans, pour rendre plus attractifs ces parcours spécifiques.
Après, bien sûr, « la pêche reste un loisir aléatoire :vous pouvez venir cinq, six fois, et rentrer bredouille, tandis qu’un autre, qui vient juste après vous, fera quatre, cinq, six prises successives ! » Alors, consigne : « Rester patient et faire des kilomètres et des kilomètres » le long du canal. Mieux vaut bien choisir sa berge, sachant qu’il n’y a guère d’endroit pour traverser et que c’est la rive droite que longe le chemin. Côté gauche, c’est beaucoup plus sportif — mais, peut-être, plus intéressant ?
Au moment de quitter les ornières pour aborder la piste cyclable, qui annonce Munchhouse, le parcours « famille », et une pêche plus tranquille, on se dit que le décor brut de décoffrage qu’on vient de laisser derrière soi, il vaut peut-être mieux qu’il ne soit pas (encore) trop envahi par les postes de pêche. Parce qu’ainsi — mais le président Ringenbach ne sera sans doute pas d’accord — à l’abri de l’agitation, avec cette présence silencieuse des brochets, perches et autres black-bass, avec ses canards en goguette et les multiples traces de présence de la faune sauvage environnante, c’est trop la classe… le canal déclassé.
La biodiversité y a gagné
Le canal du Rhône au Rhin déclassé existe parce que la mise en service du canal de Neuf-Brisach, du Canal d’Alsace et du bief à grand gabarit de Niffer ont rendu inutile sa portion comprise entre l’Ile-Napoléon et Kunheim. Déclassée en tant que voie navigable par un décret du 22 juillet 1966, elle est restée à sec pendant de longues années, avant d’être totalement remise en eau en 1991 à partir du canal de la Hardt, via le canal de Munchhouse.
Quand on demande à Jean-Pierre Ringenbach (lire ci-dessus) si cette remise en eau a été effectuée « pour les beaux yeux des pêcheurs », il rit. Bien sûr que non ! « C’est avant tout pour la réalimentation de la nappe et l’irrigation des cultures. » N’empêche que la biodiversité y a gagné ainsi que la pêche, objet d’un contrat de location entre le Département du Haut-Rhin, propriétaire de presque tout le linéaire, et la Fédération du Haut-Rhin pour la pêche et la protection du milieu aquatique. L’ensemble des membres des AAPPMA du département ainsi que ceux de l’Union régionale du Nord-Est peuvent y exercer leur loisir avec quatre cannes, le groupement de réciprocité des AAPPMA ayant pour sa part assuré le repeuplement des différentes espèces. Entre 2009 et 2011 : 1 200 kilos de carpes, 1 300 de gardon, 500 de brochet, 200 de black-bass, etc. Depuis 2009, la fédération a délimité cinq zones attractives : trois parcours « famille » et deux parcours « sensation ».
Friture et no-kill
Non seulement, il y a des pêcheurs le long du canal déclassé, mais ceux que nous avons rencontrés campent, presque jusqu’à la caricature, les deux types de pratiquants qui fréquentent désormais les plans et cours d’eau.
D’abord, deux retraités, Robert et son beau-frère Bruno. Venus de Rixheim, ils se sont installés pas très loin du pont sur lequel passe la départementale, à la sortie de Munchhouse. Ils n’ont pas voulu aller plus loin, parce qu’ « on a du mal à rouler », dit Bruno.
« Tranquilles »
Là, on est encore sur le parcours « sensation », dévolu aux amateurs de carnassiers, conquis de haute lutte. Mais eux s’en fichent. Arrivés dès 6 h du matin, ils sont venus pour sortir une friture de gardons et d’ablettes, que l’épouse de Bruno prépare à merveille, assurent-ils ! Le goujon, ils n’y croient pas trop : « Nos fils en ont fait un massacre l’année dernière », rigole Robert. Non, là, ils sont bien. « Tranquilles ».
« Du poisson, il y en a », certifie Bruno en sortant son énième gardon. Seul problème, selon lui : « ILS ne nettoient rien ». Il ne parle pas de la berge et du poste de pêche, précise son beau-frère : « Pour ça, on emmène une serpette et on aménage sa place. » Non, c’est le lit de la rivière elle-même : « Il y a trop d’herbe… »
Deux écluses plus loin, à un endroit où le chemin de halage a quitté son revêtement damé pour adopter le mode ornières, le parcours « sensation » prend tout son… sens. Deux jeunes sont justement en train de s’y installer.
À vélo, de Wittenheim
Tunç et Ludovic sont venus à vélo de Wittenheim. Tunç rêve de black-bass mais reconnaît que jusque-là, ils n’ont pris que de petits brochets. « J’ai vu, sur un blog, des gens qui disent qu’il n’y a pas de poissons ici. »« Mais, ajoute-t-il, fort des prises de leurs sorties précédentes, je pense que ce sont des braconniers, qui ne veulent que du gros. »
À eux, pas besoin de demander une recette de friture : ces deux lycéens qui, dans quelques jours, entrent en 1 re sciences de l’ingénieur au Lavoisier, à Mulhouse, pratiquent le no-kill, précise Tunç dans un grand sourire.
SURFER Tous les renseignements et les tracés parcours « sensation » et « famille » sur le site internet de la fédération : www.peche68.fr
le 27/08/2011 à 05:00 par Textes : Luc Marck Photos : Darek Szuster
Jeu 1 Sep 2011 - 12:56 par Snykeman